Économielire
Quels rôles pour les banques centrales?
Bref tour d’horizon des outils à disposition des banques centrales pour rassurer les marchés.
La crise de la Covid a encore poussé les banques centrales à étendre leurs prérogatives pour venir en aide aux économies en berne. Début juin, la BCE annonçait ainsi un plan pandémie (PEPP) de plus de 1 300 milliards d’euros, consistant à “monétiser” la dette publique et privée, c’est-à-dire à racheter massivement les créances des pays européens pour faire baisser leurs taux d’emprunt et ainsi faciliter le financement des mesures d’exception (chômage partiel, aides sociales, plans de relance…). Un plan similaire a été mis en place par la FED dès avril, à hauteur de 2 300 milliards de dollars, dans le but de racheter la dette des états les plus touchés par l’épidémie et d’offrir des prêts de quatre ans pour les entreprises de moins de 10 000 salariés.
L’intervention accrue des banques centrales sur les marchés en période de crise, que ce soit en 2008 avec la crise des subprimes, en 2011 avec celle des dettes souveraines, ou en 2020 avec la pandémie, doit interroger sur les moyens mis à disposition de ces institutions pour rassurer les marchés, les états et les investisseurs. Faisons un bref tour d’horizon de ces outils.
Sommaire de l'article
La mission première de toutes les banques centrales est la gestion de la masse monétaire mise en circulation. Pour répondre à cette tâche, les banques centrales disposent de deux leviers: l’émission de la monnaie fiduciaire (qui se fait par le biais des banques centrales nationales dans le cas de la BCE), aussi appelée “planche à billets”, prérogative historique de ces institutions; et les taux directeurs, qui influent indirectement sur la masse monétaire en circulation à travers les prêts émis par les banques commerciales. Pour comprendre ce mécanisme, il convient d’abord de faire la différence entre les différents types de taux d’intérêts appliqués par les banques centrales :
L’environnement actuel des taux directeurs a rarement été aussi incitatif. En effet, à la suite de la crise des dettes souveraines de 2011-2012, la plupart des banques centrales de la planète, dont l’objectif principal est de maintenir la stabilité des prix, ont pris peur à l’idée de la mise en place d’une “spirale déflationniste”, c’est-à-dire de voir des taux d’inflation négatifs entraîner une hausse des taux d’intérêts réels et donc un report des achats et des investissements faisant encore baisser l’inflation. Pour tenter de retrouver un taux d’inflation optimal (fixé à 2% par la BCE) et relancer les économies en berne, les banques centrales ont progressivement diminué leurs taux directeurs à un niveau historiquement bas. Aujourd’hui, ils s’élèvent à 0% pour la BCE, entre 0 et 0,25% pour la FED, 0,10% pour la Banque d’Angleterre, -0,25% pour la Banque nationale suisse ou encore -0,10% pour la Banque du Japon.
Mais cette politique de taux bas, voire négatifs, ne porte pour l’instant que modérément ses fruits. En effet, malgré presque une décennie de politique monétaire très accommodante, la croissance n’a pas retrouvé ses niveaux d’avant 2009, et la baisse du chômage, contrairement à ce que prévoyaient les banques centrales, n’a pas dynamisé les prix, l’inflation stagnant à un niveau relativement faible. Les banques centrales ont donc dû trouver de nouveaux outils pour mettre à bien leurs objectifs.
Face à l’inefficacité des politiques de taux bas, les banques centrales ont, à partir des années 2000, commencé à mettre en place des politiques monétaires “non-conventionnelles”, en intervenant directement sur les marchés financiers. Cette politique volontariste, née dans les années 1990 au Japon, est appelée “assouplissement quantitatif” (ou quantitative easing) et consiste pour les banques centrales à racheter massivement des titres (bons du trésor, obligations d’entreprise et éventuellement titres adossés à des actifs comme des titres hypothécaires) augmentant ainsi la masse monétaire en circulation.
L’assouplissement quantitatif a deux principaux effets. Le premier est de monétariser la dette des états, en diminuant les taux d’intérêts qui s’appliquent aux bons du trésor, rendant la dette “gratuite” pour des économies souvent touchées par une crise majeure comme le Portugal ou l’Irlande après 2012. Cette pratique est normalement interdite par les statuts de certaines banques centrales, comme la BCE ; l’assouplissement quantitatif permet de contourner cette interdiction. Le deuxième effet (théorique) est le même que celui résultant de la baisse des taux : la relance économique. En rachetant des obligations, la banque centrale augmente leur demande et donc leur prix. Or, plus le prix d’une obligation augmente, plus son rendement baisse: les investisseurs vont se détourner du marché obligataire pour privilégier des investissements plus rémunérateurs, comme le prêt aux particuliers et aux entreprises, favorisant la reprise économique.
Seule la qualité de payeur en dernier ressort et d’émetteur unique de la monnaie permet aux banques centrales ce genre de politique, qui augmente très rapidement leur bilan, à l’image de celui de la FED, passé en 2008 de 800 à plus de 4000 milliards de dollars suite à la mise en place d’un assouplissement quantitatif. Par ailleurs, cette politique part du postulat de base que les marchés financiers vont se détourner des marchés obligataires pour privilégier des investissements bénéfiques à l’économie réelle; mais rien ne leur interdit d’investir sur des produits financiers qui n’auront pas l’effet escompté.
L’efficacité de ces assouplissements quantitatifs est très variable. En effet, elle dépend d’abord des spécificités des économies qu’elle entend redynamiser. Par exemple, les politiques japonaises de quantitative easing du début des années 2000 ont été un relatif échec: la Banque du Japon n’a pas réussi à sortir du piège déflationniste, car elle a maintenu ses perspectives d’inflation à 1% jusqu’en 2014, niveau insuffisant pour rassurer les marchés sur l’avenir de la hausse des prix; l’économie japonaise reposant aussi très fortement sur les importations, la dépréciation de la monnaie induite par ces politiques a fait augmenter le prix des produits importés, empêchant un véritable rebond de la consommation intérieure. Au contraire, les politiques d’assouplissement quantitatif fonctionnent mieux dans les pays anglo saxons, notamment aux États-Unis, où les quantitative easings mis en place à partir de 2008 ont permis de retrouver un taux d’inflation positif et de relancer l’économie dès 2010. Cela s’explique notamment par la nature du portefeuille des ménages américains, tournés largement vers des produits financiers et des actions qui ont bénéficié de l’afflux de liquidité mis en place par la FED, au contraire du Japon ou de l’Europe de l’Ouest, où les actifs des ménages sont surtout placés sur des livrets d’épargne ou des fonds euros.
En zone euro, la grande dynamique d’assouplissement quantitatif mise en place par la BCE entre 2015 et 2018 a eu un résultat mitigé. Même si l’inflation est revenu à un taux acceptable (mais loin d’être optimal), la relance de l’économie a été moins fulgurante qu’aux États-Unis. Pour beaucoup d’économistes, à commencer par le créateur de la notion de quantitative easing, Richard Werner, les flux monétaires ont surtout profité aux marchés financiers et pas à l’économie réelle, industrie en tête.
Le plan présenté par Christine Lagarde, qui prévoit un assouplissement quantitatif à hauteur de 1300 milliards d’euros d’ici la fin 2020, est sujet aux mêmes risques que les expériences citées plus haut: les perspectives prévoient une croissance très modérée de l’inflation, alors que les taux directeurs de la BCE sont déjà au plus bas...